LA THEATRALISATION AU SERVICE DE LA DISRUPTION
RETAIL TOUR
Dans son rapport Prédictions 2023, Pinterest évoque l’engouement de la Gen Z pour les boissons sans alcool. Cette nouvelle tendance qui voit la multiplication des bars, soirées et événements sobres se déploie notamment dans les métropoles américaines branchées. Après New-York et San Francisco, l’enseigne BOISSON, dédiée aux breuvages sans alcool, s’implante à Los Angeles. Dans le contexte d’une mégapole où la mixologie constitue l’un des piliers culturels, le caviste reprend les codes du secteur alcoolier tout en jouant la carte de la théâtralisation. Ce point de vente, que nous avons hâte de vous faire découvrir lors d’un store tour sur mesure aux Etats-Unis, montre comment un nouveau marché s’approprie les codes traditionnels de l’ancien secteur tout en opérant un bouleversement des paradigmes.
LA STARIFICATION DU PRODUIT
La boutique théâtralise les boissons dépourvues d’alcool dont l’apparence et la mise en scène se calquent, de prime abord, sur les breuvages et leur segmentation classique-spiritueux, pétillants et vins. Les bouteilles sont disposées sur des étagères en métal encadrées de pans en bois à la manière d’un cadre suggérant une bibliothèque de boissons. La disposition aérée et épurée souligne le positionnement premium des spiritueux, à la manière des alcools rares. Cette sacralisation du liquide porte ici sur des boissons sans alcool, si bien que la formule de Musset, dans La Coupe et les lèvres, peut ici, prise au sens littéral, être inversée et devenir “qu’importe l’ivresse, pourvu qu’on ait le flacon”.
Ce mimétisme est poussé jusque dans la longue table en bois qui surplombe le casier central où sont respectivement présentées et stockées les bouteilles de vin sans alcool à la manière d’un caviste classique. Le retail design inscrit ainsi l’offre alternative de BOISSON dans un positionnement premium en suggérant le même savoir-faire.
L’ANCRAGE DANS UNE MYTHOLOGIE TRADITIONNELLE
BOISSON puise dans les codes historiques associés à l’alcool avec notamment une série de références à l’Art Déco, assimilé dans l’imaginaire aux soirées débridées des années Folles. Ainsi, le placage en bois des meubles, emblématique de ce courant artistique, se retrouve avec les panneaux muraux en noyer qui, associés aux luminaires d’inspiration Art Déco, rythment l’espace. L’impression générale d’ordre et de cadence, apportée par ces panneaux encadrant de fines étagères en métal, place l’ensemble sous le signe de la rigueur et de la pureté des lignes.
Ces emprunts à l’Art Déco s’enrichissent d’un autre hommage architectural à la France, consacré à la Maison de Verre. Peu connue dans l’hexagone, cette construction réalisée par Pierre Chareau au tournant des années Trente, l’est davantage des Américains, notamment depuis la consécration du New York Times qui l’a designée “The Best House in Paris”.
Ainsi, l’espace de réception de la boutique accueille un comptoir constitué de blocs de verre tenus par de l’acier. L’utilisation de ce matériau qui a, dans le cas de la maison éponyme, profondément influencé le projet utopique de Paul Scheerbart prônant une “culture du verre”, perçue par Walter Benjamin, qui s’est souvent rendu dans l’emblématique demeure, comme “une vertu révolutionnaire”, pare ici de brillance et de lumière l’audacieuse proposition de BOISSON.
Ce comptoir est surmonté de l’iconique Pipistrello tout en courbe, conçue en 1965 par Gae Aulenti. En ponctuant le point de vente de références architecturales passées, BOISSON s’inscrit dans une filiation qui adosse une légitimité historique au secteur disruptif des vins et spiritueux sans alcool. Cet esthétisme poussé se conjugue avec la douceur du céladon qui enveloppe les murs et le client, conférant à l’ensemble une ambiance sereine et intime, renouvelant les codes du caviste traditionnel.
DES REFERENCES CREATIVES A LA POP CULTURE
Le caractère disruptif de BOISSON est souligné par la créativité des références au réalisateur Wes Anderson et notamment à la scène liminaire du film French Dispatch. Un serveur y apporte précisément un plateau d’apéritifs, d’absinthe et d’affogato à un groupe d’éditeurs en mal d’inspiration. L’analogie se poursuit jusque dans le choix des couleurs et de leur traitement en aplat. Le vert des murs de BOISSON évoque en effet celui de la moquette de la maison d’édition.
De manière plus générale, la symétrie des lignes et la disposition rectiligne des étagères, contrebalancées par la douceur des quelques éléments courbes, rappellent l’univers rétro du réalisateur qui conçoit lui-même des projets architecturaux, à l’instar du bar Luce installé dans la Fondation Prada à Milan.
En définitive, BOISSON repense le secteur des vins et spiritueux en proposant des équivalents dépourvus d’alcool au sein d’un écrin mêlant une pincée d’Art Déco, saupoudré d’un zeste de glamour hollywoodien de la seconde moitié du XXème siècle et un trait de Wes Anderson. Soit une recette originale qui mixe les références dans une grande fluidité.
Cette inventivité mise au service de la théâtralisation rappelle celle du caviste RED TONGUE en Corée.
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